16/07/2015

Martyrs de Tourliac › À VENDRE, LIEU DE MÉMOIRE...

Le 14 juillet 1944, la ferme du Bouscatel fut le théâtre d'un massacre perpétré par les nazis.|Photo © Jean-Paul Epinette - icimedia@free.fr

La mémoire peut-elle avoir un prix ? Et si oui, à combien peut-il se chiffrer ? Et celui du sang versé ?...
Le 14 juillet 1944, onze résistants du maquis de Tourliac était massacrés par les nazis dans la ferme du Bouscatel. Mardi dernier, on a comme tous les ans honoré leur mémoire. Mais cette année, un sujet était sur toutes les lèvres : la vente de la vieille ferme, justement baptisée pour les 70 ans du drame, "Maison des Martyrs"...



Anciens résistants et combattants, simples citoyens, élus, tous étaient venus mardi entretenir la flamme du souvenir. Un souvenir douloureux. Le 14 juillet 1944, on est à peine plus d'un mois après le débarquement allié en Normandie. L'espoir change de camp.

La victoire semble possible et la cinquantaine de maquisards du groupe Vény, installée dans son PC très reculé de la ferme du Bouscatel, décide d'aller déposer une gerbe au monument aux morts de Villeréal. Ils ne sont que onze à rester à Tourliac. Dix dans la ferme et une sentinelle, au lieu de deux habituellement.

Une imprudence que les résistants vont payer cher. Car au même moment, une colonne allemande fait route sur Tourliac. Sur la foi d'une dénonciation – l'endroit étant trop reculé pour que les soldats y soient arrivés par hasard – les assaillants exécutent d'abord la sentinelle, le jeune Nathan Goldstein. En l'absence de la deuxième sentinelle, ils parviennent sans encombre jusqu'à la ferme où ils abattent un à un les dix maquisards sur place.

Cette histoire, connue de tous dans le Villeréalais et bien au-delà, est un traumatisme pour de nombreux Tourliacais. Le maire Guy Chabronnerie a du mal à contenir ses larmes quand il la raconte. Âgé de quatre ans ans au moment des faits, il se souvient des rafales de mitraillette et de son père qui lui disait que les résistants fêtaient surement – et imprudemment – le 14 juillet en tirant en l'air.

La "Maison des martyrs", une propriété privée

Trois ans plus tard, en 1947, pour rendre hommage à ces hommes, fût érigé le « monument des fusillés », à dix mètres de la ferme du Bouscatel. À l'intérieur de celle-ci, rien n'a bougé. Les impacts de balle sont encore visibles dans les murs. L'ambiance y est lourde, pesante. La bâtisse est chargée d'histoire, de celle que l'on écrit avec un grand « H ».

Seulement cette maison, aussi symbolique soit-elle, a un propriétaire. Et une valeur marchande, estimée à 44 000 euros. L'intérieur nécessiterait d'importants travaux, mais il n'en reste pas moins que le site est superbe, le cadre très agréable et que 3 000 mètres carrés de terrain entourent la ferme.

La Maison des martyrs pouvait-elle abriter gîtes et piscine ?

C'est ainsi qu'il y a quelques semaines, le propriétaire, par ailleurs conseiller municipal de Tourliac, a annoncé avoir trouvé un couple d'acquéreurs qui envisageait de construire gites et piscine.

Stupeur et colère du maire, Guy Chabronnerie, pour qui il était impensable de vendre la « Maison du Bouscatel ». Les réunions qui ont suivies ont été houleuses. Entre « pro » et « anti » vente, l'affrontement a fait rage et divisé le conseil, voire même le village.

Pour certains, c'est l'indispensable devoir de mémoire qui doit primer. Pour d'autres, il est temps de « tourner la page »...et de faire des économies. Finalement, le maire est parvenu à convaincre les plus réticents.

La commune va acheter la ferme. « Il en va de l'honneur de Tourliac, explique Guy Chabronnerie, la voix étranglée de sanglots. C'est mon dernier mandat, je n'aurais pas pu supporter ça, j'aurais démissionné. »

L'achat de la maison se fera l'an prochain. Il faut d'abord débloquer les fonds et inscrire l'opération au budget 2016. En ces temps de vache maigre, le maire a bon espoir de récolter de nombreuses subventions auprès des élus, des collectivités et des associations d'anciens combattants.

 

Guy Chabronnerie, le maire de Tourliac, veut sauver la Maison des martyrs de la vente ou de la ruine...

Objectif : n'avoir à débourser que la moitié de la somme et ne pas avoir recours à l'emprunt. L'idée de Guy Chabronnerie est, à terme, d'aménager la bâtisse en lieu de mémoire ; un modeste « Musée de la Résistance » qui conserverait l'ambiance du lieu, laissant la ferme « dans son jus ».

Armes, objets et documents liés au groupe Vény y seraient exposés. Les associations d'anciens combattants devraient être mises à contribution pour nourrir ce projet.

En tout état de cause, aujourd'hui à Tourliac, la mémoire a un prix : 44 000 euros.


 Pierre-Antony Epinette

 

 

16/07/2015